Repenser les jardineries pour y attirer les plus jeunes
Relancer le marché des amateurs passe par un rajeunissement de sa clientèle, et donc par une meilleure prise en compte des souhaits des générations X et Y, biberonnées à l'hédonisme. Mais pour relever ce challenge, les professionnels doivent également avoir une meilleure perception de ce que vivent les consommateurs dans les points de vente, ainsi que de leurs besoins et attentes.
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La journée Végépolytaine du jeudi 17 septembre dernier sur le thème « Expérience consommateur et étude prospective » a été l'occasion d'une profonde remise en question de l'organisation actuelle des ventes de produits horticoles (voir le Lien horticole n° 943 du 7 octobre 2015). Pour les différents intervenants, il n'y a pas de doute, le commerce relatif au jardin n'a pas encore opéré la mue indispensable s'il veut repartir de l'avant.
« Vous êtes des experts », a expliqué en préambule Morgane Yvergniaux, responsable du développement des entreprises et des territoires de Végépolys, en s'adressant à un public d'une petite centaine de participants composé de fournisseurs, d'organismes, de représentants de la distribution spécialisée et de quelques très (trop) rares producteurs. « Vous voulez être choisis, vous voulez être l'élu, et pour longtemps. Celui sans qui le commerce ne peut se faire. Mais se dressent devant vous deux gros obstacles : les concurrents et les clients », poursuit l'intervenante. Pour des experts qui sont « parfois créatifs mais pas toujours » et qui surtout peuvent « avoir un langage trop fermé », peu accessible au consommateur, au-delà d'avoir « LA » bonne idée, celle qui fera prospérer le marché dans la durée, il faut « éviter l'échec commercial qui guette 70 % des nouveautés lancées ». Comment rencontrer le succès, attirer les jeunes en jardineries, leur faire manger des fruits et des légumes ? Telles étaient les questions auxquelles la journée Végépolytaine du mois de septembre cherchait à donner des éléments de réponse.
Végéconso, un outil d'aide à l'innovation
Pour aider les entreprises dans leurs démarches d'innovation, pour s'assurer que leurs produits seront en phase avec les attentes des consommateurs, Végépolys a lancé un nouveau service, Végéconso. Il s'agit d'un living lab du végétal, une méthode éprouvée qui permet d'interroger les consommateurs en amont ou en parallèle du processus de production. La méthode permet de travailler sur une zone géographique déterminée, et sur un marché donné : il existe par exemple un living lab de l'univers de l'enfant à Cholet (49), duquel Végépolys s'est inspiré pour lancer son nouveau service.
Il s'agit d'un système itératif, qui questionne des consommateurs plusieurs fois donc, sur l'intérêt qu'ils portent au nouveau produit qui serait lancé. Au final, cela revient à intégrer le client en co-création. Végépolys propose un parcours que les entreprises peuvent mener d'un bout à l'autre ou intégrer en cours de route. Il comprend l'analyse du marché et des clients, l'univers concurrentiel de cet article (qui peut se trouver hors du marché du produit lui-même, d'où l'intérêt d'observer de nombreuses filières et d'être en relation avec de nombreux living lab). Vient ensuite la phase d'écoute, de questionnement et d'observation des acheteurs, qui permet de valider la pertinence des gammes et le positionnement. Le tout étant évidemment assuré dans la plus grande confidentialité !
Les vivaces ? Les jeunes ne connaissent quasiment pas !
Senso'Veg, plate-forme sensorielle sur le végétal portée par l'Unité de recherche Grappe de l'École supérieure d'agricultures (ESA) d'Angers (49), travaille sur l'attractivité des jardineries sur les 20/40 ans. Elle a réalisé une étude à la fois quantitative et qualitative et s'est attardée sur les comportements de ces consommateurs, à partir de trois « focus groupes » composés de personnes qui ne se connaissent pas. L'idée était de les faire parler afin qu'elles racontent qui elles sont, et surtout qu'elles expliquent comment elles perçoivent la jardinerie. Pour cette cible qui se rend peu sur les points de vente dédiés au jardin, décrypter le magasin, voir comment il est organisé et identifier les différents univers ne pose pas forcément de problème, mais certains ont tout de même du mal à s'y retrouver et jugent que c'est un peu fouillis. Y aurait-il trop d'univers au sein des espaces de vente ? D'autres pensent au contraire que ces différences en font la richesse. La plupart identifient les divers secteurs du végétal, n'ont pas de mal à classer une tomate dans les potagères, mais ne savent pas du tout ce que sont les cagettes de jeunes plants de pomme de terre, ni à quoi cela peut servir.
Globalement, la plupart perçoivent le magasin comme un endroit qui donne une image peu moderne. Beaucoup aiment toutefois les rayons des annuelles, bien rangés en fonction des couleurs ; ils voient cela ordonné. Par contre, attention aux points de rouille sur certains étals, qui déclassent vite le lieu dans l'esprit des jeunes consommateurs.
Quant aux vivaces, inutile de demander ce qu'elles sont. Rares sont ceux qui le savent ! Inutile également de parler à cette cible de plantes « semi-persistantes ». « Les gens n'ont pas les mots », explique Ronan Symoneaux, de l'ESA, qui a présenté ce travail, dont le but était toutefois d'identifier les freins à la consommation de la cible des 20/40 ans. Il y en a d'évidents : le manque de temps ou tout simplement d'espace pour jardiner. « Mais il y a d'autres leviers, poursuit Ronan Symoneaux, le fait par exemple d'habiter en appartement et de mettre du terreau partout dès que l'on veut rempoter, d'être au troisième étage et d'avoir des difficultés à y monter le matériel nécessaire. Des obstacles qui font que les jeunes ne franchissent pas le cap, ne font tout simplement pas. Et la crainte de l'échec est souvent mentionnée également. Si les gens font mourir une plante, ils n'y reviennent pas. » D'ailleurs, certaines des personnes interrogées expliquent qu'elles achètent plus volontiers dans les magasins de bricolage qui, outre le fait d'être jugés parfois comme moins chers, reprennent les produits achetés par erreur, ce qui les rassure.
Face à ce constat, plusieurs parades sont proposées. Il faudra de plus en plus scénariser l'offre pour donner des idées d'utilisation. Proposer des kits avec un mode d'emploi qu'il suffit de suivre pour obtenir un résultat. Des ateliers permettant aux amateurs de retrouver les gestes et savoir-faire, à l'instar des grandes enseignes de sport qui apprennent aux gens à entretenir une bicyclette, sont également une piste à explorer (certain veulent juste consommer facilement et rapidement, d'autres affirment une réelle volonté d'apprendre). Les services sont aussi à améliorer avec du conseil bien sûr (en prenant garde au langage de l'expert que le consommateur ne comprend pas), mais aussi la livraison à domicile.
Laisser les enfants à l'aire de jeux et prendre un café ?
Et si on repensait nos jardineries ? C'est Fabien Grimaud, du service Veille et Prospective de Végépolys, qui le propose, avec pour objectif d'aller chercher de nouveaux consommateurs. Avec deux cibles possibles, les non-consommateurs absolus, et les consommateurs occasionnels, que l'on peut amener à acheter davantage. C'est chez les 18/40 ans que se trouve l'essentiel de ces personnes qui ne consomment que peu, voire pas les produits pour le jardin. « Il y a là deux générations, les X (30/40 ans) et les Y, qui ont un point commun : ce sont des jeunes hédonistes, dont la consommation est multicanal. Ils peuvent se renseigner sur le point de vente mais acheter par internet, ils sont attachés à des marques, - un concept qui reste à travailler sur le végétal -, et ils communiquent via les réseaux sociaux et les forums », explique Fabien Grimaud. Pour lui, les jardineries vont devoir devenir des espaces plus aérés, plus conviviaux, de bien-être où la signalétique est importante. Des lieux scénarisés qui produisent de l'émotion, qui donnent des idées que l'on peut reproduire chez soi. Demain, les points de vente devront disposer d'un espace où l'on peut boire un café, d'un autre qui permet d'occuper les enfants plutôt que de les voir s'ennuyer dans le magasin pendant que les parents font des courses...
Autre attente des consommateurs : pouvoir louer du matériel, disposer d'un drive donnant la possibilité de récupérer rapidement des achats réalisés par internet. L'économie collaborative doit également trouver sa place : la mise en relation de personnes qui disposent d'un jardin mais n'ont pas assez de temps pour s'en occuper peut permettre de trouver des terrains d'ententes avec celles ayant du temps, des compétences, mais pas de surface pour assouvir leur envie de jardiner... Fabien Grimaud propose aussi de réfléchir à l'idée de boutiques éphémères qui donnent la possibilité, à peu de frais, de tester de nouveaux emplacements. Et pourquoi pas s'inspirer des fab lab, ces espaces mis à la disposition des clients de certains grands magasins de brico-lage avec des outils et un encadrement pour réaliser telle ou telle opération, se lancer des défis... « Ce n'est pas cher et cela crée du contact », estime l'intervenant. Les échanges de « tuyaux » et conseils sont nombreux entre les jardiniers, il y a forcément des pistes à imaginer pour les canaliser. Permettre aux gens de dépanner leurs outils, d'échanger du matériel, de revendre de l'occasion pour racheter du neuf mieux adapté à un jardin qui sera devenu plus petit ou bien où les haies auront tellement poussé qu'il faudra un outil plus grand pour les tailler, sont aussi des pistes de réflexion à creuser.
Pascal Fayolle
Le public La plupart des 20/40 ans perçoivent le magasin comme un endroit qui donne une image peu moderne. PHOTO : ODILE MAILLARD
La tranquillité Des espaces de jeux pour les enfants permettraient aux jeunes parents de faire leurs courses plus tranquillement. PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
Le végétal Les vivaces ? Inutile de mentionner ce terme auprès des jeunes générations : elles ne le connaissent quasiment pas ! PHOTO : PASCAL FAYOLLE
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